30 Mai 2013
Dans ce poème Victor Hugo " fait parler " Juliette Drouet qui fut sa maîtresse pendant près de 50 ans.
Pendant qu’il écrivait Juliette le contemplait et griffonnait des mots d’amour, comme celui-ci du 2 février 1836 :
« Je suis heureuse d’apercevoir même votre ombre sur la page que vous lisez »
Mais il lui arrivait aussi de se plaindre, de se sentir sacrifiée au travail du poète et le 10 avril 1838, elle écrivait à cet amant trop laborieux :
« Tes travaux ont été pour notre bonheur ce que l’hiver est pour les arbres et les fleurs ; la sève s’était retirée bien loin au fond de ton cœur et plus d’une fois j’ai cru qu’il était mort tout à fait.»
Prima
Elle disait : C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux ;
Les heures sont ainsi très doucement passées ;
Vous êtes là ; mes yeux ne quittent pas vos yeux
Où je regarde aller et venir vos pensées.
Vous voir est un bonheur ; je ne l’ai pas complet.
Sans doute, c’est encor bien charmant de la sorte !
Je veille, car je sais tout ce qui vous déplaît,
À ce que nul fâcheux ne vienne ouvrir la porte ;
Je me fais bien petite en mon coin près de vous ;
Vous êtes mon lion, je suis votre colombe ;
J’entends de vos papiers le bruit paisible et doux ;
Je ramasse parfois votre plume qui tombe ;
Sans doute, je vous ai ; sans doute, je vous voi.
La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres,
Je le sais ; mais, pourtant, je veux qu’on songe à moi.
Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres,
Sans relever la tête et sans me dire un mot,
Une ombre reste au fond de mon cœur qui vous aime ;
Et, pour que je vous voie entièrement, il faut
Me regarder un peu, de temps en temps, vous-même.
Paris, octobre 18…
Victor Hugo ( 1802 - 1885 )